Le 26 août 1782, le courrier quitte Chambéry. Après un arrêt à Aix puis à Rumilly pour changer de chevaux et de postillon, voilà qu’en arrivant à Mionnaz, on constate que deux des trois malles transportées ce jour ont disparu : la malle du vice-intendant général du Duché, Jean-François Garnier, qui voyageait dans cette voiture, et la malle-poste de Carouge. Il va régner alors dans la région une effervescence extraordinaire. On va réveiller le maître de postes de Rumilly qui, avec ses domestiques se met à prospecter les environs. Malgré les recherches, ils ne retrouvent que la pièce de bois « qui avait servi à lier » les malles. C’est « sur Vallières », au-dessus de la montée de Coppet, qu’ils la découvrent.
Le Vice-intendant, prenant alors l’affaire en main, s’en vient « frapper à la porte du Château de Mionnaz » pour écrire un certain nombre de lettres alertant aussi bien le lieutenant-colonel commandant à Rumilly pour qu’il fasse patrouiller sa troupe que le châtelain de plusieurs paroisses afin qu’il fit « battre campagne ».
Hélas, toutes les recherches effectuées resteront vaines quand, tout à coup, on retrouve l’une des deux malles perdues : il s’agit de celle du vice-intendant. Cette découverte a été rocambolesque et le récit de Jacqueline Tissot, épouse Combépine, qui l’a faite, ne l’est pas moins. Il ne manque, dans la malle retrouvée, qu’ « une chemise et une paire de bas de soie ». Quant à l’autre malle officielle, celle qui transportait le courrier, il faut continuer les recherches. Témoignages et dépositions se succèdent. Le 2 septembre, coup de théâtre. On a retrouvé la malle perdue ! Elle « s’étoit trouvée dans le territoire de la paroisse de Saint-Eusèbe, dans une vigne appelée des vignasses, rière le village d’Orbessy. » C’est un certain J. Fontaine, seize ans, « qui a découvert la dite malle ». Elle était « mouillée de la rosée du matin, en partie ouverte, la chaîne ayant perdu son cadenas. ». Le 3 septembre, la commission d’enquête fait faire l’inventaire de ladite malle. On y trouve des lettres « en partie déchirées, décachetées et chiffonnées » ; mais d’autres sont « intactes », « dûment cachetées ». Le courrier est contenu dans des sacs de peau dont l’un est intitulé « THONON », l’autre « LA ROCHE », etc. Un paquet contient des médicaments, plusieurs autres du chocolat. On fait refermer la malle, après y avoir constaté qu’il manque au moins 79 livres, et on l’envoie là où elle devrait déjà être arrivée.
Installée à « A la Ville de Turin », l’auberge-relais de poste de Rumilly, la commission d’enquête va recueillir trente-six dépositions. Toute une série d’entre-elles – celles des responsables des malles – insiste évidemment sur le fait que celles-ci, tout le long du voyage, ont été surveillées et qu’à Rumilly, en particulier, elles ont été bien attachées. Si les malles ont disparu, ce n’est certainement pas faute d’avoir bien été liées. « D’autre part, la corde a été coupée, c’est un fait. Mais personne ne s’est aperçu de rien. ». Le mystère reste donc entier en ce qui concerne ce qui a bien pu se passer entre Rumilly et Mionnaz. De nombreux témoins ont été interrogés. Pour chacun d’eux sont notés l’âge, le lieu de naissance, le domicile, le métier et la situation de fortune.
Toutefois, il y a des gens qui avancent des noms. La première à être soupçonnée, c’est Jacqueline Tisssot-Combépine, celle qui est venue dire qu’elle avait trouvé la malle du vice-intendant et dont la maison « est très peu éloignée de l’endroit où la malle de M. Garnier a été retrouvée ». Ses défenseurs sont aussi nombreux que ses détracteurs. Néanmoins, la pauvre Jacqueline Combépine supporte mal les soupçons qui pèsent sur elle. On la trouve « toute en pleurs, étant bien malheureuse » d’avoir trouvé cette malle. D’autres témoins soupçonnent les frères Livraz « qui sont déserteurs et fugitifs ». On avance aussi d’autres noms, en particulier celui d’un nommé Maître d’Annecy dont la conduite est suspecte pour avoir été aux galères et dont on a « ouï dire qu’il était un pas rien ». Reste encore « un certain Bouvier, meunier à Coppet » à la mauvaise réputation. Il pourrait se faire qu’en « allant et revenant comme les meuniers en ont coutume, prendre du bled ou rendre la farine », il ait aperçu la malle, « s’en soit emparé » et l’ait portée dans les vignes d’Orbessy puisque les gens de ce pays certifie que c’est là où on l’a retrouvée. Mais qu’aurait-il été faire du côté d’Orbessy puisque les gens de ce pays vont presque tous moudre au moulin de Charrière à Thusy ou à celui de Morgenex à Vallières ? D’autre part, il n’avait pas non plus de raisons valables de se trouver là où les malles se sont décrochées. Une déposition particulièrement intéressante est celle du jeune Jacques Crochet, âgé de douze ans, domestique dudit meunier qui fournit un alibi à son maître. Mais comme il n’a que douze ans, on ne lui a pas fait prêter serment.
L’affaire de la malle-poste de Carouge reste donc un mystère, allant grossir la masse des énigmes de l’histoire.
Louis Mermin, Amicale philatélique d’Annecy
Source : Archives Départementales de Savoie – Cote C 604- 1752-1789- Intendance Générale de Savoie-Postes et Messageries